Pourquoi dit-on des
femmes qu'elles se jalousent systématiquement ? Qu'elles se
comparent davantage que les hommes ? Qu'une femme va
nécessairement en détester une autre, simplement parce que celle-ci
est plus jolie ? D'où vient cette supposée jalousie innée des
femmes ?
Pour répondre à ces
clichés, remontons un peu le temps. Au Grand Siècle, si les femmes
étaient un peu plus indépendantes que pendant l'ère victorienne,
ce n'était pas pour autant la panacée. La propriété était alors
essentiellement masculine. Les femmes mouraient jeunes, souvent en
couches. Aussi, au sein de familles recomposées, se posait la
question du partage des ressources entre nouvelles épouses et
enfants de précédents lits.
Là-dessus, le peu de
pouvoir que possédait la gent féminine reposait sur la sphère
domestique. Jusqu'au 18e siècle, une femme était entre autres
guérisseuse, couturière, laitière, paysagiste, éducatrice,
comptable, parfois vendeuse, bras droit de son mari/père/frère ou
éventuellement de sa mère. Avec la fin de l'époque mercantile et
les balbutiements de l'ère capitaliste, s'opéra une division
sexuelle des tâches, où les femmes se virent peu à peu privées de
leurs prérogatives. Les guérisseuses et sage-femmes se
reconvertirent peu à peu dans le bois de chauffage pour chasseurs de
sorcières, tandis que ces messieurs de l'académie s'estimaient plus
à même d'exercer à leur place. Les intellectuelles devinrent des
bas bleus décriés comme hérésie, les cerveaux développés seyant
si peu aux femmes. La femme idéale, bourgeoise, devait être pâle,
malade, fragile, belle, ce qui devait la couper du monde. Prête à
tous les sacrifices, désintéressée, mais trop diaphane pour en
faire trop. La pauvresse, la travailleuse devait également être
altruiste et ne penser à elle qu'en dernier recours. Après avoir
trimé dans les champs, puis plus tard à l'usine, elle devait
s'occuper d'enfants et maris. Il lui restait donc peu de temps pour
taper la discute à la voisine.

A vrai dire, de la
Révolution au milieu du 20e siècle, pour la classe populaire, une
femme oisive était nécessairement de mauvaise vie, puisqu'elle
avait le temps de bavasser, peut-être même avec des hommes. Une
femme paresseuse amenait le vice. Aussi, devait-elle constamment être
occupée, Gardant les moutons en tricotant, racontant des histoires
le soir auprès du feu en reprisant des vêtements. Les seuls moments
de sociabilité féminines étant aux saisons, soit deux fois par an,
lorsque toutes les femmes du village se réunissait pour laver le
linge.
Au sein de la noblesse et
de la bourgeoisie, les grandes amitiés féminines étaient néanmoins
encouragées jusqu'à la seconde moitié du 19e siècle. Elles
faisaient pendant aux grandes amitiés masculines. Puis, à l'ère du
social-darwinisme, elles furent décriées comme la porte ouverte au
lesbianisme, réel danger renforçant la dégénérescence évolutive
de la femme, alors que seuls les hommes blancs cisgenres continuaient
à évoluer. En dehors des classes populaires qui n'avaient guère
d'autre choix que la colocation pour se loger, deux femmes seules,
c'était louche. Une femme bien sous tout rapport devait donc
s'isoler des autres.
Et est venue l'idée de
lafâme exceptionnelle. Oh, elle n'est pas complètement neuve,
puisqu'au Moyen-Âge déjà, il y avait les filles d’Ève
nécessairement mauvaises, liées au péché originel et la Sainte
Vierge Marie, chaste parmi les chastes, pure parmi les pures,
l'Exception rédemptrice. L'idée de pureté absolue de la femme
honorable et sacrificielle était très forte dans la seconde moitié
du 19e siècle. A persisté jusqu'à aujourd'hui l'idée que toutes
les femmes sont des pouffes, des putes, des salopes, des peaux de
vache, sauf ma sœur ou ma mère, éventuellement ma copine. Elles
sont le symbole de lafâme, maternelles et altruistes. Et qui ne peut
montrer patte aussi blanche que Marie va nécessairement envier la
perfection des autres. Car existe alors l'idée que la normalité
réside dans cette perfection. Encore de nos jours, toute une chacune
s'imagine être complètement à la ramasse par rapport aux autres :
il y a les mères parfaites, les carrières parfaites, les beautés
parfaites, les intelligences parfaites, le tout parfois regroupé en
une seule et même personne, et soi, imparfaite.

La révolution des mœurs
de la fin des années 1960 a signé le retour de l'approbation des
grandes amitiés féminines, mais reste un petit problème : il
n'y aurait pas de bro code au féminin, ne serait-ce que parce que
les femmes n'auraient pas les mêmes références geek ou marrantes.
Naturellement, cette idée est de la chitte en boule, puisque de
Dirty Dancing à Gilmore Girls en passant par Disney, il y a tout un
pan de la pop culture que de nombreuses femmes consomment
différemment que certains hommes. Ce d'autant plus que la
normalisation du bro code date de l'apparition du sitcom How I Met
Your Mother.
Au Japon, s'il y a
jalousie entre femmes dans la fiction ET dans la réalité, les
hommes ne sont pas en reste. Pourtant, le Japon n'est de loin pas le
pays le plus féministe du monde, mais l'excellence est requise
quelle que soit le genre. L'idée qu'une saine compétition ne puisse
être que masculine est beaucoup moins forte. Les hommes aussi se
tirent dans les pattes – il n'est néanmoins pas faux qu'ils tirent
plus volontiers à boulets rouges sur leurs collègues féminines,
surtout si elles ont de bons résultats. Et pourtant, en Europe,
toute association entre femmes ne pourrait être qu'un nid de vipères
hyper compétitives.
Ben non, c'est pourri
partout en fait, pas besoin d'avoir inventé la machine à courber
les bananes pour le comprendre. Il y a des boîtes entre femmes où
l'ambiance laisse à désirer comme ce peut être le cas entre
hommes, et l'inverse est vrai aussi. Seulement, dans un monde où le
plafond de verre a encore de beaux jours devant lui, une femme, pour
prouver ses compétences et son ambition doit mettre ses gants en
peau de vache pour se faire respecter, ce qui provoque
l'incompréhension. Trop sympa et c'est la porte aux réflexions peu
professionnelles et à l'absence d'augmentation.
La cup est pleine
De nombreuses femmes
elles-mêmes ont intériorisé le fait qu'un monde de femmes est la
condition nécessaire et suffisante pour être bouffée tout cru par
Satan. Mais je pense que la formation de ce cliché est fortement due
à l'histoire des relations sociales entre femmes d'une part, et
entre femmes et hommes d'autre part. Une femme bien est une
exception, et l'enfer, c'est les autres.